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A.DouguineL’AUTONOMIE COMME PRINCIPE DE BASE DE LA NATION EURASIENNESouveraineté ou autonomieLa structure contemporaine du pouvoir national dans la Fédération russe, fondée sur le principe de la souveraineté des sujets est profondément biaisée. La situation a été aggravée par la politique adoptée par l’ancien président Boris Eltsine qui consiste à “se doter d’autant d’autonomie que possible”, mise en place au cours de la dernière décade et menée pour rendre aux sujets de la Fédération autant d’autonomie que possible. Les élites interprétèrent cette politique comme une invitation au “laissez-faire” et à l’absence de lois. En fait, cette approche condamnait la Russie à la désintégration par le processus d’une inévitable “parade des souverainetés”. Ce qui fut démontré de façon mathématique par les exemples de la Tchétchénie et, dans une moindre mesure, du Tatarstan.La question de la souveraineté ne peut, par définition, être appliquée dans une forme restreinte : elle tend toujours vers une forme complète (l’indépendance dans le domaine des Affaires étrangères, de l’armée, de la monnaie etc.). Un concept habituel dans la politologie classique est que la souveraineté suppose un territoire conquis et une domination totale sur ce dernier. Dans le contexte de la Fédération russe, ceci implique une renonciation de fait (bien que graduée en quelque sorte) du principe de l’unité et de l’indivisibilité de la Russie. En réalité, le modèle de la Fédération n’est efficace que pour des sociétés homogènes. Lorsqu’il s’agit d’entités aussi compliquées, asymétriques, hétérogènes et diversement peuplées que celles qui existent en Russie, un principe entièrement différent s’impose. L’idée d’Autonomie doit être ce principe. Les paramètres de l’AutonomieL’Autonomie ne permet pas la présence d’une souveraineté (ni, plus généralement, d’aucun attribut d’une nation). L’autonomie a ses propres règles, rien de plus. Les questions de stratégie, de relations étrangères, de programmation stratégique sont hors de la compétence de l’autonomie. Cependant, une multitude de questions qui sont actuellement du ressort juridictionnel des autorités fédérales et régies par la législation de la Fédération (lois civile et administrative, système judiciaire, management des activités économiques ou non) pourrait être déléguée aux diverses autonomies. La principale distinction entre les autonomies et les sujets de la Fédération russe dans leur forme actuelle tient au fait que, dans le système de l’autonomie, le sujet n’est pas une entité territoriale quasi-nationale, mais une communauté de personnes unifiée par quelques traits communs.Les autonomies peuvent être de taille variée (depuis un nombre de familles jusqu’à des peuples entiers). Les grandes autonomies peuvent contenir des autonomies plus petites à l’intérieur de leurs frontières. Dans l’ensemble, l’idée de la communauté se trouve ici à la base de la structure de la société. Types d’AutonomiesL’Autonomie des Nationalités prend sa source à l’intérieur du cadre d’un peuple (nationalité) qui a pris forme en tant qu’entité historique, avec certaines traditions d’auto-gouvernance et qui s’est composé comme corps unique, invulnérable à l’érosion.Autonomie ethnique : elle convient aux peuples qui n’ont pas de traits nationaux particuliers. Autonomie théocratique : elle émerge parmi les nations qui possèdent un degré de conscience religieuse élevé, où les institutions religieuses sont présentes dans le gouvernement interne de la société, prenant ainsi partiellement le pouvoir réel à l’intérieur de cette même société (judiciaire, administrative etc). Autonomie religieuse. : elle convient aux communautés fondées sur des règles religieuses, là où la religion n’est pas impliquée dans la direction interne de la société. (Ces quatre types d’autonomies peuvent converger, formant des types d’autonomie nationale et théocratique ou ethno-religieuse.) Autonomie culturelle et historique : elle incorpore des communautés de personnes formées historiquement et unifiées par une mentalité et une culture communes. Par exemple, les Cosaques et les Pomors. Autonomie sociale et industrielle : cette dernière forme d’autonomie, surtout applicable dans des territoires récemment peuplés et, régulièrement, dans les zones industrielles proches des villes ou dans un complexe industriel national. Il est à souhaiter que, dans l’avenir, de telles autonomies puissant évoluer sur la base d’autonomies socio-économiques appartenant à d’autres types traditionnels. Autonomie économique : une autonomie supplémentaire garantit un traitement spécial à des autonomies déjà existantes dans les sphères régies par la législation fédérale (parties de territoires possédant des régimes légaux spéciaux, des systèmes d’imposition fiscale plus bas, des droits de douanes moindres, etc). Autonomie fondée sur la langue (parlée) : une autre autonomie peut refléter une communauté linguistique parmi les représentants de différentes autonomies. Celle-ci peut dépasser tout autant que rassembler des autonomies de types traditionnels. Autonomie de communauté : cette autonomie rassemble des populations qui, autrement, n’auraient pas de traits communs et leur permet de vivre sur un même territoire et/ou d’être employés dans le même secteur d’activités. Par exemple : des entités traditionnelles à base tribale ou de “peuplements écologiques” formées d’anciens habitants des villes. Certains territoires où aucune communauté d’aucune sorte ne s’est formée (principalement des territoires peu ou à peine peuplés) peuvent être consacrés en tant que terres fédérales, c’est-à-dire territoires où seule la législation fédérale (et les actes juridiques fédéraux) est applicable. Autonomies et centre fédéralContrairement aux sujets présents de la Fédération de Russie, les autonomies pourraient posséder des droits manifestement plus importants dans le domaine de la culture, des affaires courantes, de l’administration, des affaires légales et du management de la propriété. En fait, les fonctions des tribunaux, des centres de régulation juridique, la gestion et le contrôle pourraient être délégués aux autonomies. La législation fédérale ne devrait régir qu’un minimum de questions communes à toutes les formes d’autonomies. Les tribunaux et les cours de la Fédération ne devraient avoir à s’occuper que des questions conflictuelles à un niveau intercommunal. Toutes les questions intracommunales devraient être résolues de manière interne, suivant les traditions inscrites dans les lois locales.De la même manière, les autonomies devraient déléguer aux autorités fédérales le droit de décider des questions relatives à la sécurité nationale, les relations internationales et la programmation stratégique. Tous les anciens vestiges de la souveraineté à un niveau local devraient être éradiqués. La nouvelle structure eurasienne de l’Etat, enracinée dans le principe des autonomies, implique également une certaine mutation des organes de l’autorité de la Fédération. Le Congrès des Autonomies, qui comprend les meilleurs représentants des autonomies les plus importantes du pays, devrait devenir l’institution propre à prendre les décisions stratégiques pour l’Etat. Les organes du pouvoir fédéral (l’administration eurasienne) devraient être composés des dirigeants et des représentants les plus respectés des autonomies. Ces dernières devraient également déléguer des représentants pour les services communs des armées, pour les centres judiciaires de la Fédération. Ainsi, la plupart des questions seraient résolues au niveau local et l’appareil bureaucratique deviendrait extrêmement succinct. C’est ainsi que le système occidental de démocratie électorale formelle (qui, en Russie, s’est dégradé pour n’être plus qu’un système criminel de fraudes et de corruption) serait remplacé par une démocratie organique qui implique la participation créative des meilleurs représentants de la communauté dans le gouvernement national. Ce type de démocratie (démocratie par “citoyenneté” et non démocratie de “masse”) est caractéristique de l’ancienne Grèce et de la Suisse contemporaine. Utilisation de la terre par les AutonomiesUne question vitale est celle de l’utilisation de la terre. Aucune des autonomies ne devrait avoir le droit d’aliéner un territoire. Le principe de base devrait être que le propriétaire de la terre est le Créateur (de façon générale, la terre devrait être sanctifiée, un culte de la “Terre Mère” devrait être revivifié). Chaque terre est la possession collective du peuple russe tout entier et doit être régi par les dirigeants de la Russie. Des parcelles de terre seraient attribuées aux autonomies qui les occupent déjà, à charge pour eux de les cultiver sans avoir à payer quoique ce soit pour cela. Le concept même de “frontière” à l’intérieur de l’Etat russe (et, en perspective, dans l’ensemble de l’univers eurasien) devrait être remplacé par le concept de “limites”. Les limites sont une ligne nominale, sans signification légale, une ligne le long de laquelle les territoires mis en valeur par une communauté sont reliés aux territoires utilisés par une autre communauté. Les limites sont flexibles, non fixées. Les frontières sont là pour diviser, les limites sont là pour unir.Le principe même d’autonomie, opposé à celui de souveraineté, envisage les sujets non pas en tant que territoires (les frontières sont tracées de manière arbitraire, souvent contestée), mais comme des êtres humains avec une identité nationale et religieuse distincte, des membres à part entière d’une entité collective. Ainsi, la substitution du principe de souveraineté par celui d’autonomie rend impossibles le séparatisme et les conflits de frontières à l’intérieur de la Fédération de Russie (le terme “Fédération” pourrait même alors être aboli). L’Etat bénéficierait de la stabilité et les peuples de Russie auraient une occasion unique de développement social. Autonomies et mégalopolesLes grandes villes sont les zones les plus sensibles pour l’application du principe d’autonomie. Les citadins sont très peu connectés avec leurs traditions nationales et religieuses. Ils ne sont pas des utilisateurs actifs de la terre. Ils sont très pris par les processus d’occidentalisation et de globalisation. D’autre part, l’émergence même des grandes villes, qui a un sens en Europe ou au Japon où il existe un manque réel de terre, paraît assez étrange en Russie, en raison de l’abondance des territoires non encore cultivés. Tout ceci suggère que les principales villes devraient être vidées petit à petit d’une certaine partie de leur population. Les principales industries devraient être réinstallées à l’extérieur des villes. Pour ce qui est des quartiers résidentiels, le modèle des “sloboda” (cités) devrait être utilisé. Les “sloboda” sont des lotissements écologiques séparés des villes par une bande de forêt qui assure une protection sanitaire, où des communautés pourraient être formées suivant la nationalité, la religion, la culture et l’histoire ou d’autres principes (une attention particulière étant accordée ici à l’expérience des “communautés patriotiques”). Ainsi, les organes de direction, les institutions culturelles et le secteur des services devraient être conservés à l’intérieur des limites des cités. A Moscou, il y a quelques exemples de l’installation de “sloboda” déjà bien visible. L’auto-gouvernance à l’intérieur d’un immeuble ou d’un bloc d’immeubles est encouragée par les responsables moscovites.Ceci permet la résolution effective de nombreux problèmes, mais plus important, cela facilite la communautarisation des mégapoles où les habitants apprennent à vivre ensemble à l’intérieur d’une certaine communauté, à agir en concertation. Dans l’avenir, la majorité des questions propres aux “sloboda” seront résolues de façon interne. Autonomies et « zones sensibles » Si la transition de la souveraineté des sujets vers le principe d’autonomie peut encore être retardé ou peut-être conduit à un rythme assez lent dans la plus grande partie de la Russie (ce qui serait pourtant extrêmement dangereux), cependant, dans certaines « zones sensibles » de Russie (et dans les « zones sensibles à travers l’ensemble de la Fédération), une telle transition devrait être mise en place immédiatement. L’analyse des raisons qui ont mené à des conflits inter-ethniques sanglants en Russie (Tchétchénie, à Prigorodny dans la région de Vladikavkaz etc), montre clairement le rôle fatal joué par l’idée perverse d’une souveraineté locale. Là, des populations ethniquement variées se rencontrent au sein d’une même région selon un modèle tellement compliqué qu’il est pratiquement impossible de d’y tracer une ligne de frontière correcte. L’idée de souveraineté a conduit les élites locales vers la volonté d’acquérir toujours plus d’attributs de leur nationalité (ceci incluant des frontières strictes). Tout ceci a conduit à des situations conflictuelles qui ne peuvent être résolues à l’intérieur du paradigme ancien. Un concept nouveau et radicalement différent est nécessaire. Le concept d’autonomie nie la souveraineté et tous ses attributs. A la place, le rôle de sujet est tenu par le peuple et non plus les territoires (avec leurs frontières, sources de problèmes). Ainsi, l’autonomie représente une occasion unique de « sortir d’une impasse ». La Russie est un univers unique, multinational, multiconfessionnel et multiculturel, avec d’immenses territoires inhabités, des paysages différents, une multitude de communautés aux origines historiques, des mentalités et des façons de vivre différentes. Appliquer à cet univers des modèles formés dans un contexte historique différent ne peut être ni facile ni efficace. La mise en place en Russie du modèle classique fédéral est une « bombe à retardement » susceptible de faire exploser notre pays d’une manière sanglante. Il est nécessaire de trouver un modèle adaptable aux caractéristiques uniques de la Russie, un modèle qui garantirait un développement national et culturel sain, une renaissance religieuse, la paix et la prospérité pour les peuples de la Russie. A notre avis, la substitution du principe de souveraineté par celui d’autonomie est absolument urgent. Il n’y a pas d’alternative à l’autonomie. |
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