Цели «Евразийского Движения»:
- спасти Россию-Евразию как полноценный геополитический субъект
- предотвратить исчезновение России-Евразии с исторической сцены под давлением внутренних и внешних угроз --
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Archivio de EURASIA a cura di Martino Conserva
original text
Alexandre
Douguine
CRISE BALKANIQUE, CRISE
EUROPEENNE
1. Les Balkans, point d'acupuncture en
Europe
Toute vision géopolitique de l'Europe pose
celle-ci comme un organisme vivant, qui a des points
vulnérables et d'autres mieux protégés, en bref, des
points faibles et des points forts.
Tous les pays et
tous les peuples européens ont leur fonction propre dans
l'ensemble continental mais certains territoires ou
certaines ethnies ont une importance prépondérante, si
prépondérante que la santé ou la maladie du corps-Europe
entier en dépend. Aujourd'hui, vu les circonstances,
personne ne niera que les Balkans sont un point
particulièrement sensible dans l'ensemble géopolitique
européen. Dans cette région en effervescence,trois
forces géopolitiques majeures de l'Eurasie se trouvent
face à face, créant de la sorte un noud inextricable de
problèmes. S'il y a harmonie dans les Balkans,
l'organisme européen fonctionne plus ou moins bien.
Quand on touche à l'équilibre toujours précaire des
Balkans, quand on y suscite des conflits, quand on se
livre à des provocations dans cette région instable,
quand les grandes puissances européennes interviennent
dans les conflits balkaniques, les répercussions se font
immédiatement ressentir dans tout le continent et on
risque une guerre européenne comme en 1914.
En effet, la première guerre mondiale a commencé à
Sarajevo. Pendant la seconde guerre mondiale, les
territoires de la Yougoslavie - surtout les
nouveaux Etats croate et serbe - ont été les
foyers de conflits atroces, tragiques et sanglants. En
vase clos, les peuples balkaniques vidaient leurs
querelles: oustachistes croates, musulmans
pro-allemands, tchetniks serbes monarchistes et
nationalistes, internationaux communistes de Tito,
Bulgares alliés à l'Axe, Albanais et Macédoniens, etc.
s'entretuaient à qui mieux mieux. Ces luttes intérieures
étaient marquées par une violence extrême, par des
génocides épouvantables, par la guerre ou plutôt la
guerilla totale, où participaient et mouraient femmes,
enfants et civils, sans exception. Aujourd'hui,
l'histoire se répète: la guerre est revenue dans les
Balkans. Et une fois de plus, c'est une guerre totale.
Génocides, massacres de civils, déportations, tortures,
viols, atrocités, décapitations, étripages, yeux crevés
font partie du décor quotidien. Hallucinant!
Le conflit dans l'ex-Yougoslavie est pourtant
différent des autres conflits sanglants qui agitent
l'Eurasie. Arméniens et Azéris, Moldaves et Russes
"transnistriens", Géorgiens et Abkhazes, etc. luttent
pour des intérêts locaux, étroitement déterminés parles
appartenances ethniques. Ni en Azerbaïdjan ni en
Armenie, on ne parle de guerre religieuse. Les Azéris ne
parlent pas de djihad. Les Arméniens ne font aucune
référence à la défense de la Chrétienté. Dans
l'ex-Yougoslavie, la situation est radicalement
différente! C'est une guerre entre Slaves: avec, comme
protagonistes, les Serbes orthodoxes, les Bosniaques
(Serbes et Croates ethniques convertis à l'Islam il y a
cinq siècles) et les Croates (Slaves catholiques). Il
s'agit donc d'une guerre religieuse, où toutes les
parties sont profondément conscientes de l'essence
métaphysique et de la perspective géopolitique qu'ils
défendent.
La guerre actuelle dans les Balkans risque d'être le
commencement d'une grande guerre continentale. Les
arguments des pacifistes ne compteront plus. Tant sont
profondes les forces mises en jeu dans cette région. Le
site géographique de cet affrontement est trop important
pour l'Europe et pour l'harmonie continentale. Ceux qui
disent d'ores et déjà que la guerre grande-continentale
a commencé, n'ont peut-être pas tout-à-fait tort.
2. Trois forces, trois peuples.
Dans les Balkans, on aperçoit trois forces
géopolitiques qui sont entrées en conflit mortel.
a) Les Serbes
Quand on parle des Serbes dans le conflit actuel, il
s'agit des Serbes de Serbie et de la Kraïna (terres
peuplées de serbes et gouvernés par des irréguliers
serbes dans les territoires de la Bosnie-Herzégovine et
de la Croatie). En Bosnie, les territoires contrôlés par
les Serbes occupent 60% de la superficie de la
République. Ces serbes de la Kraïna et de Bosnie ont
proclamé une "République serbe" indépendante. Ils
représentent le monde de l'orthodoxie. Ils s'identifient
à la Russie, et par logique géopolitique, à l'Eurasie,
mais au sens limité, petit-eurasien, que lui donnaient
les philosophes eurasistes russes, qui posaient
l'équation "Russie = Eurasie" et soulignaient la
présence, dans l'ensemble étatique, impérial, culturel
et religieux russe, d'une grande composante territoriale
asiatique. Les Serbes représentent une force qui
s'identifie à l'Orient de l'Europe. Aujourd'hui, à cette
heure critique et dramatique de leur histoire, tous les
Serbes, depuis les intellectuels jusqu'aux simples
paysans, en passant
par tous les soldats et les miliciens, ont conscience
que leur pays représente quelque chose de beaucoup plus
grand que la petite Serbie, que la petite ethnie slave
du Sud-Est européen. Certains Serbes sentent derrière
eux la présence des vastes étendues sibériennes; un pays
du Nord de la Bosnie, s'appelle "Simberie"; il est
peuplé de Serbes. Le célèbre peintre et mystique serbe
Milosc de Matchva affirme que les mots "Serbie" et
"Sibérie" ont une même racine ancienne. Serbes et
Monténégrins ont un dicton: "Nous et les Russes sommes
200 millions d'hommes". Et encore: "Du haut des plus
hautes montagnes des Balkans, on peut apercevoir Moscou
si la nuit est claire".
b) Les Croates
Ils vivent sur 70% du territoire de la République
croate. Les 30% restants relèvent de la Kraïna serbe.
Les Croates occupent également 20% du territoire de la
Bosnie-Herzégovine, où ils ont annoncé la création d'un
nouvel Etat croate de Bosnie-Herzégovine. La langue des
Croates ne diffère guère de celle des Serbes. Ils sont
en majorité catholiques. Dans la situation actuelle, les
Serbes convertis au catholicisme (qui habitent surtout
dans les régions méridionales de la Croatie) sont
absolument solidaires des Croates. Ceux-ci représentent
dans les Balkans l'Europe centrale, la Mitteleuropa,
bien qu'il ne faut pas oublier qu'à l'époque de la
création de la Yougoslavie et de la désintégration de
l'empire austro-hongrois, les Croates étaient les
premiers à voter pour la sécession d'avec l'empire
danubien/centre-européen et pour l'unification avec les
autres Slaves du Sud.
Quoi qu'il en soit, les Croates, pendant la seconde
guerre mondiale et aujourd'hui, s'associent
explicitement aux intérêts de la Mitteleuropa, de
l'Autriche catholique et de l'Allemagne. Ils se
considèrent comme "européens" et "civilisés" par
contraste avec les Serbes qu'ils décrètent "asiatiques"
et "barbares". Chez les Croates - du moins chez
ceux qui soutiennent Tudjman; ce n'est pas le cas de
ceux qui sont engagés dans les rangs du HOS de Dobroslav
Paraga - l'idée d'Europe et le mythe de la
Mitteleuropa s'associent avec l'engouement pour le
"monde moderne". Mais en dépit de ce modernisme, on
repère chez eux une certaine "judéophobie", répondant à
une certaine "judéophilie" des Serbes. En effet, chez
les Serbes, on éprouve une certaine sympathie pour les
juifs, parce qu'on se sent proche d'eux; on est
solidaire du peuple hébreu qui a subi un génocide, à
l'instar des Serbes.
Les Croates sont extrémistes dans leur catholicisme.
On voit chez eux des prêtres qui bénissent les armes et
encouragent les "opérations spéciales" de "purification
ethnique", car ils considèrent que la guerre contre les
Serbes est une guerre sainte contre l'"Asie".
Derrière les Croates, il y a la Mitteleuropa,
l'Allemagne et surtout le catholicisme des provinces
méridionales et de l'Autriche. Les Croates se veulent
des représentants de l'Occident européen, face aux
Serbes orthodoxes et aux Bosniaques musulmans. Les
Serbes appellent les Croates les "Oustachistes" et
parfois même les "Allemands". De leur côté, les Croates
appellent les soldats du bataillon russe de l'ONU, les
"tchetniks russes". Pour les Croates "allemands", les
Serbes sont "russes" et les Russes sont "serbes".
c) Les Bosniaques
Les Bosniaques vivent dans le territoire de la
République de Bosnie-Herzégovine, mais leurs terres sont
éparpillées, dispersées sur toute la surface de la
république. Il n'y a que trois espaces homogènes,
relativement grands, en Bosnie-Herzégovine, qui sont
peuplés de Musulmans: le rayon de Bekhatch (nord-ouest
de la République), les terres autour de Tuzla (dans le
Nord) et l'espace au Sud de Sarajevo. La population de
cette dernière ville est à 60% musulmane.
Les Bosniaques sont des Serbes ethniques qui sont
entrés en Islam à l'époque de la conquête turque.
Paradoxalement, les Musulmans bosniaques sont
ethniquement plus "purs" que les Serbes orthodoxes.
Beaucoup de Musulmans de l'ex-Yougoslavie présentent des
types dolicocéphales à pigmentation claire. Pour quelle
raison? Les troupes turques-ottomanes ne violaient pas
les femmes de ceux qui s'étaient convertis à l'Islam.
Les Serbes orthodoxes sont beaucoup plus turquisés que
les Musulmans bosniaques sur le plan racial. N'omettons
pas de signaler un événement historique très important
dans l'évolution de la mosaïque balkanique: les
Musulmans actuels sont en gros des anciens Bogomils, une
secte dualiste opposée aux églises constituées et
persécutée tant par Rome que par Byzance; le roi des
Bogomils, Tverdko, s'est converti à l'Islam pour des
raisons religieuses plus que par opportunisme. En fait
ce sont les Musulmans de Bosnie qui sont les descendants
de la noblesse serbe médiévale, surtout dans le sud du
pays. Les paysans et les serbes de condition modeste ont
conservé en revanche la foi orthodoxe, surtout dans le
Nord de la république.
Les Musulmans bosniaques se considèrent comme partie
intégrante de l'Umma islamique malgré leur parenté
ethnique avec les Serbes orthodoxes. Pour eux, le modèle
est la Turquie, quoiqu'Alia Izetbegovitch, le président
de la République de Bosnie actuelle, est un
fondamentaliste, très influencé par les idées de la
Révolution islamique iranienne. Du fait qu'il ait
affirmé jadis que la République de Bosnie-Herzégovine
était un "pays musulman", il a déclenché la rebellion
des Serbes orthodoxes et des Croates catholiques.
Les Bosniaques, sur le plan territorial, sont dans
une situation désastreuse; leur territoire n'est pas
homogène, leurs frontières sont démembrées et il n'y a
aucune zone compacte dans laquelle ils pourraient se
rassembler. Mais ils sentent que le monde musulman les
appuie. Et que la Turquie est prête à les aider pour
reprendre pied dans les Balkans. Enfin, que les
Saoudiens sont prêts, eux aussi, à leur apporter de
l'aide, surtout sur le plan financier. Paradoxalement,
malgré les sympathies pro-iraniennes d'Izetbegovitch, le
facteur iranien est fort peu présent en Bosnie.
Les Musulmans se considèrent comme les représentants
du Grand Sud islamo-turc ou islamo-arabe. Pour eux, les
Serbes sont des "nationaux-bolchéviques", des
"soviétiques" ou des "tchékistes". Les Croates sont
"modernistes" et "utilitaristes". Ils sont prêts à
proclamer la guerre sainte, la djihad, pour protéger la
foi islamique et établir l'Etat islamique. Ils
soutiennent l'idée de "Grande Turquie" annoncée par
Özal, "de la Mongolie jusqu'à Sarajevo". Les Bosniaques
forment plus ou moins 49% de la population de
Bosnie-Herzégovine mais sentent derrière eux l'appui de
plusieurs centaines de millions de Musulmans.
Pendant la deuxième guerre mondiale, les Bosniaques
musulmans étaient solidaires des Croates, la
Bosnie-Herzégovine faisant d'ailleurs partie de l'Etat
oustachiste croate d'Ante Pavelic; selon les Serbes, les
Musulmans étaient partie prenante dans le génocide
anti-serbe. Aujourd'hui, la situation est légèrement
différente: il y a une certaine solidarité entre
Bosniaques et Croates dans les régions contrôlées par
les Serbes, mais, en même temps, il y a aussi un
antagonisme entre Musulmans et Croates dans le Sud-Ouest
du pays, là où les Croates ont proclamé la République
croate de Bosnie-Herzégovine. A Sarajevo, les Croates
subissent le même traitement brutal que les Serbes dans
les quartiers de la ville contrôlés par les milices
d'Izetbegovitch et, souvent, dans de tels cas, les
Croates collaborent avec les Serbes pour tenter de
quitter Sarajevo.
En conclusion, nous pouvons dire que le conflit
actuel qui secoue l'ex-Yougoslavie est un conflit
d'importance continentale voire mondiale. Trois forces
métapolitiques voire métaphysiques majeures sont entrées
en conflit et risquent de faire basculer la Grande
Europe dans une guerre terrible. Si ces forces vivaient
en harmonie et s'alliaient, l'Europe vivrait dans la
stabilité et la sécurité. A cause du conflit balkanique,
on risque une nouvelle querelle entre Russes et
Allemands (l'axe Orient-Occident) ou, autre scénario, on
verra se former une alliance entre Russes et Allemands
contre le monde musulman turc et arabe (l'axe Nord-Sud).
A qui profiteront ces conflits potentiels?
3. Chercher l'intérêt américain
L'opposition entre l'atlantisme et l'eurasianisme
est la constante géopolitique majeure dans l'histoire
moderne; les représentants les plus sérieux de la
discipline géopolitique le reconnaissent: depuis
Mackinder et Kjellen jusqu'à von Lohausen et Béhar, en
passant par les Américains Spykman et Gray. L'histoire
du XXième siècle a confirmé plusieurs fois la pertinence
des thèses de Karl Haushofer: la défense de l'Europe
dépend directement de la possibilité de l'alliance
géopolitique des puissances du bloc eurasien, soit l'Axe
Berlin-Moscou-Tokyo. Les puissances continentales
conscientes de leurs intérêts géopolitiques ont toujours
soutenu cette alliance. La politique atlantiste,
anglo-saxonne, depuis quelques siècles et, dans le chef
des Américains, depuis 1945, a toujours cherché à briser
ce bloc continental, à provoquer des luttes intérieures
sur le continent pour mieux pouvoir réaliser la
"stratégie de l'encerclement", ou la "politique de
l'anaconda".
La France et l'Angleterre ont provoqué la création de
la Yougoslavie pour détruire l'Empire centre-européen
qu'était l'Autriche-Hongrie, de façon à affaiblir
l'Allemagne et pour engager la Russie dans l'alliance
suicidaire, contre nature, avec l'Occident, contre la
seule puissance logiquement amie de la Russie, la
Mitteleuropa unifiée ou l'Allemagne. En guise de
récompence, la Russie a reçu la révolution bolchévique
et l'Allemagne, en guise de punition, le Traité de
Versailles. Les Croates, eux, ont reçu la Yougoslavie
artificielle qui a réduit en bouillie leurs libertés
ethniques. Seules les puissances atlantiques et
anglo-saxonnes ont tiré des avantages des carnages de
1914-18: des positions fortes dans les rimlands
de l'Eurasie qui leur permettaient de préparer la
domination géopolitique et stratégique du monde.
Pendant la deuxième guerre mondiale, un scénario
identique s'est répété. Les Allemands ont attaqué les
Russes qui, après avoir encaissé un choc très rude, se
sont resaisis et ont écrasé les Allemands. Les
Soviétiques soutenaient Tito, communiste croate; les
Anglais et les Américains soutenaient les tchetniks
serbes contre l'Europe centrale unie sous la poigne
allemande. Après 1945, la Russie souffre d'"hypertension
impériale" parce qu'elle doit défendre des frontières
immenses sur le continent et contrôler des groupes
d'Etats différents et opposés les uns aux autres.
Pendant ce temps, les Américains préparent dans leur
Grande Ile facilement défendable le dernier round pour
obtenir la domination mondiale unipolaire, qu'ils
nommeront, lors de la guerre du Golfe, le "Nouvel Ordre
Mondial".
Après la destruction de l'URSS, les atlantistes
devaient, tout logiquement, inventer un autre moyen
d'affaiblir le continent rival (l'Eurasie). On connaît
la recette: susciter une nouvelle guerre
inter-européenne. Et la faire débuter dans les Balkans,
parce que c'est le point le plus sensible de
l'architecture européenne, comme on l'enseigne dans tous
les collèges militaires et dans les écoles de
diplomates, tous lieux où on n'oublie pas les vieilles
leçons de la géopolitique.
Détail intéressant: les trois parties engagées dans
le conflit actuel qui ravage l'ex-Yougoslavie s'accusent
mutuellement d'être "les marionnettes du Nouvel Ordre
Mondial". Les Serbes sont bien conscients de la campagne
mondiale anti-serbe, dont les exagérations, la fausseté
et le caractère manipulatoire sautent aux yeux
aujourd'hui. Les sanctions contre la Serbie auraient été
prises sans qu'aucune preuve tangible n'ait vraiment été
établie. Tout cela a été orchestré par les Américains
qui, après avoir soutenu une monstruosité
géopolitique (la Yougoslavie) en soutiennent
deux autres, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie dans
leurs frontières actuelles qui ne correspondent à aucune
réalité historique, ethnique ou religieuse. Or, face à
ces critiques serbes, les Croates sont bien conscients
du rôle fatidique que jouent les Etats-Unis dans la
région: bon nombre d'observateurs croates accusent les
"atlantistes" de pratiquer leur stratégie habituelle:
soutenir l'Orient de l'Europe pour mieux écraser la
Mitteleuropa germano-centrée.
Pour des raisons plus précises encore, les Musulmans
de Bosnie considèrent que leurs ennemis sont les "agents
géopolitiques des Etats-Unis" parce que, disent-ils,
Serbes et Croates luttent objectivement en Bosnie contre
le régime "traditionaliste" et "fondamentaliste"
d'Izetbegovitch, donc contre une alternative vivante et
efficace au monde moderne dont la citadelle est
l'Amérique. Les Serbes se mobilisent, se mettent en état
d'alerte, face à la perspective d'une intervention
américaine. Plusieurs combattants serbes de
Bosnie-Herzégovine m'ont confirmé qu'ils étaient prêts à
lutter contre les troupes américaines au cas où
celles-ci pénètreraient de force dans le pays.
Après l'Irak, c'est donc la deuxième guerre contre
l'Europe que mènent les Américains (pour reprendre
l'expression du Général Jordis von Lohausen) depuis le
début de la décennie 90. Mais cette fois, les forces
vives de l'Europe, les grandes puissances européennes,
sont beaucoup plus directement impliquées.
Il me semble parfaitement légitime de qualifier le
conflit actuel dans les Balkans comme une "guerre des
atlantistes contre les Eurasiens". Comme une guerre de
l'Amérique contre l'Europe.
4. Trois révolutions conservatrices
méconnues
De la tragédie post-yougoslave, on peut donner
une autre analyse, qui n'est plus globale, géopolitique,
qui ne situerait plus seulement le drame des Balkans
dans le cadre d'une stratégie atlantiste, visant à semer
le chaos et à ébranler la stabilité continentale de
l'Eurasie. Cette autre analyse part d'une prise en
compte de la dimension intérieure des événements,
dimension qui interpelle directement les peuples et qui
révèle des choses extraordinaires.
Quand la Yougoslavie s'est définitivement effondrée,
quand cette création chimérique fondée sur la politique
de Tito qui consistait à participer à l'encerclement de
la masse continentale socialiste avec l'appui de
Washington, tout en conservant (paradoxe
apparent) des liens économiques et surtout
stratégiques avec l'Union Soviétique et l'Europe
orientale socialiste, les peuples ont perdu toute une
série d'illusions modernistes. Après la disparition du
communisme yougoslave, philo-américain et d'orientation
nettement mondialiste, les peuples de l'ex-Yougoslavie
ont été entraînés dans un courant très différent de
celui dans lequel les autres peuples des pays
ex-socialistes, Russie comprise, ont plongé. Si les
autres pays ex-socialistes ontaccepté le modèle du
libéralisme cosmopolite, le paradigme américain et ont
infléchi leur politique extérieure dans un sens
clairement pro-américain, la guerre brutale entre Serbes
et Croates, puis entre Serbes et Musulmans de
Bosnie-Herzégovine, a provoqué les réveil de consciences
nationales voire traditionnelles sans précédent. Les
limites conventionnelles de l'utopie mondialiste ont été
rompues, dépassées, et les énergies profondes des divers
héritages religieux, nationaux, historiques et
traditionnels se sont déchaînés dans le processus
violent et ardent de cette triple révolution
conservatrice balkanique, de ce Grand Retour aux
essences traditionnelles et nationales, aux valeurs
oubliées de l'identité.
Lorsque j'ai rencontré le Président de la République
serbe de Bosnie-Herzégovine, Mr. Karadjic, il a prononcé
devant moi ces paroles extraordinaires: "On nous accuse
d'être des "barbares", des "Asiatiques", etc. C'est
vrai. Nous, les Serbes, nous ne sommes pas modernes.
Parce que nous sommes orthodoxes, conscients de nos
racines slaves, fiers de notre passé héroïque. Ici, dans
la République serbe de Bosnie-Herzégovine, nous ne
luttons pas contre les Musulmans et les Croates, nous
luttons contre le monde moderne, contre la modernité.
Ici, il n'y a plus de "temps vulgaire". Ici, notre temps
est le temps national. Les héros serbes qui sont morts
lors de la bataille du Kossovo, il y a plus de 600 ans,
ceux qui sont morts pendant notre longue lutte contre
les Turcs au cours du XIXième siècle, ceux qui sont
tombés pendant les deux guerres mondiales de ce siècle,
et ceux qui combattent aujourd'hui, tous appartiennent à
un seul moment historique, à l'instant éternel de la
Tradition, de notre Tradition religieuse et nationale.
Aujourd'hui, c'est l'éternité nationale du peuple qui
s'ouvre, qui se réveille, qui s'affirme au milieu de
l'horreur, de la souffrance, de la violence, de
l'héroïsme, de la guerre. Nous sommes reconnaissants
vis-à-vis de nos ennemis: ils nous ont réveillés".
Ces paroles, complètement inattendues dans la bouche
d'une personnalité politique européenne de la fin du
XXième siècle, me paraissent prophétiques. Elles
témoignent que, chez les Serbes, après l'effondrement du
communisme, c'est une sorte de révolution conservatrice
qui se déploie, qui devient modèle national, qui refuse
le cosmopolitisme libéral. Karadjic annonce une
"troisième voie" serbe, à la fois traditionnelle et
nationale. Le peuple serbe qui, il y a quelques années
seulement, était une masse inconsciente, consumériste,
conformiste, subissant deux tentations également
perverses, celle du bureaucratisme soviétique et celle
du capitalisme occidental, s'est transformé, s'est
transfiguré en un organisme vivant, en un tout
organique. Ce n'est pas un pas en arrière comme
l'affirment les progressistes libéraux ou
sociaux-démocrates, mais un Retour à l'Archétype
national, qui, comme tous les archétypes, est
a-temporel. En Serbie, partout on voit des popes
orthodoxes, des militaires et des civils (travailleurs
et paysans) armés: les trois castes de la
trifonctionalité indo-européenne sont ressuscitées,
réanimées, après tant d'années sous le règne de la
quantité, de facture communiste ou démocratique. Cette
guerre a guéri les Serbes, mais aussi les Croates et les
Bosniaques islamiques, des miasmes de l'occidentalisme.
Karadjic voit juste: c'est la guerre, en tant que
manifestation purificatrice, et les ennemis, en tant
qu'instruments du destin, qui ont guéri le peuple de sa
médiocrité.
Justement, que se passe-t-il chez les ennemis des
Serbes? Chez les Croates et les Bosniaques musulmans, la
situation est tout-à-fait comparable. Alia
Izetbegovitch, le Président actuel de la
Bosnie-Herzégovine, est un partisan convaincu du
gouvernement islamique, anti-libéral, traditionnel et
fondé sur la S'hariat. Pour lui, la création d'un Etat
fondamentaliste islamique en Europe signifie organiser
un bastion d'avant-garde, un avant-poste, dans la lutte
de l'Islam eschatologique contre le "Dar-ul Daddjal", le
"monde du Satan". Il associait au "Dar-ul Daddjal", la
Yougoslavie athée, pro-américaine et moderniste. Pour
son engagement islamique, il a purgé une dizaine
d'années de prison, avant que les modernistes
communistes ne baissent la garde, avec la perestroïka de
Gorbatchev. Les Musulmans bosniaques luttent non
seulement pour le maintien de leur république
(face à un ennemi supérieur en nombre et avec des forces
dispersées sur l'ensemble du territoire) mais
découvrent leur identité spirituelle et traditionnelle.
C'est une véritable révolution conservatrice musulmane
qui s'est déclenchée en Bosnie. On y assite au même
retour à l'"instant éternel" dont parle Karadjic, le
principal ennemi d'Izetbegovitch. Pour les Bosniaques,
la guerre actuelle est une véritable djihad, une guerre
sainte menée contre la modernité, contre le Nouvel Ordre
Mondial.
Chez les Croates, même scénario. Pour eux, la lutte
tragique qu'ils mènent, la défense acharnée de
Vukovar - le "Stalingrad croate"- leur
guerre totale, ont provoqué le réveil de la conscience
nationale, de l'identité populaire et de la Tradition.
S'il y a encore en Europe des Catholiques au sens
intégral et médiéval du terme, il faut aller les
chercher en Croatie. Pour ces Croates, la foi et la
culture typiques de la Mitteleuropa, représentent
aujourd'hui les valeurs existentielles pour lesquelles
ils n'hésitent pas à mourir, à sacrifier tous leurs
biens, y compris leurs familles. Ils associent les
Serbes à la dictature aliénante et artificielle qui a
empêché le peuple croate de suivre son destin, de se
développer sur les plans national et culturel. La
Croatie de Tudjman vit une révolution conservatrice
croate qui a pour objectif de créer un nouveau régime
traditionnel croate, ouvert à l'Europe et surtout aux
autres pays de la Mitteleuropa, de l'ancienne monarchie
austro-hongroise. Là-bas aussi, l'"instant éternel" est
revenu et se heurte au mondialisme explicite de cette
fin de siècle, incarné, à leurs yeux, dans la
Yougoslavie moderne de Tito.
Une question légitime se pose: quelle sera la force
qui l'emportera au bout du compte, dans cet affrontement
plein de paradoxes: sera-ce la force extérieure
"atlantiste" qui répète les provocations et incite trois
régimes anti-modernes à lutter les uns contre les autres
au lieu de s'entendre et de créer un front
anti-mondialiste commun? Ou seront-ce les énergies
profondes des révolutions conservatrices balkaniques,
vectrices d'essences immortelles, qui, quoi qu'il
arrive, demeureront à l'état latent? En d'autres termes,
le lobby planétaire atlantiste pourra-t-il contrôler la
situation, poursuivre ses manipulations, si les forces
révolutionnaires-conservatrices et nationales se
réveillent totalement et partout? Les mondialistes
peuvent bien se moquer des soldats serbes qui ont décidé
de combattre les Américains si ceux-ci intervenaient
directement. Mais qu'ils réfléchissent: si demain, au
lieu d'avoir en face d'eux des Serbes, ressortissants
d'un peuple numériquement faible, ils auront des Russes,
dotés d'armes nucléaires? Dans ce cas, les marionnettes
de Washington n'auraient plus que des pouvoirs très
limités, si de grandes nations européennes commençaient
à refuser la logique du Nouvel Ordre Mondial, avec la
même énergie que les Serbes, les Croates ou les
Musulmans de Bosnie.
Les tenants du Nouvel Ordre Mondial eux-mêmes
cherchent à résoudre le problème: certains d'entre eux
envisagent déjà de laisser l'Eurasie tranquille,
acceptant, du même coup, qu'une nouvelle superpuissance
voie le jour, combinant la haute technologie allemande
et les matières premières sibériennes; d'autres, des
faucons, veulent provoquer le plus vite possible un
conflit balkanique de grande envergure, à l'échelle de
toute la masse continentale eurasienne. La Russie
actuelle serait le terrain idéal pour déclencher pareil
cataclysme. Mais si les mondialistes optent pour cette
stratégie bellogène, ils risquent, dans la foulée, de
réveiller les nationalismes et les traditionalismes
russe, allemand et musulman, de susciter cette
gigantesque révolution conservatrice en trois volets
qui, à terme, menacera l'existence des Etats-Unis en
tant que puissance mondiale et les chasserade
l'Eurasie.
Notre réponse
L'expérience actuelle des Serbes, des Croates et
des Bosniaques est importante pour l'Europe, pour
l'Eurasie. Pour comprendre d'avance la logique de notre
futur, il faut absolument se rendre dans l'une ou
l'autre des républiques de l'ex-Yougoslavie. J'estime
que c'est un impératif catégorique pour chaque Européen,
soucieux des intérêts de son peuple, de son pays, de sa
nation, de sa tradition, d'aller voir et de s'efforcer
de comprendre ce qui se passe dans les Balkans. Il faut
aller y sentir l'odeur de la mort, percevoir l'horreur
de la torture et des violences, se rendre compte de la
douleur, de la misère, de l'héroïsme. Il faut participer
au drame balkanique parce que c'est notre drame.
Sarajevo est en quelque sorte plus proche de Paris, de
Bonn, d'Istanbul, de Rome, de Moscou que leurs propres
banlieues! Les Balkans, au fond, sont à l'intérieur de
nous-mêmes. Nous n'avons pas le droit d'être
indifférents: ni par pacifisme abstrait ni par
ignorance. Quel que soit le parti que nous soutenons
là-bas, dans ce conflit atroce, nous devons prendre nos
responsabilités. Le sang qui coule dans l'ex-Yougoslavie
nous oblige à redevenir sérieux. Dorénavant, nos
engagements réclament du sang, de la sueur, des larmes.
Le fantasme de la "fin de l'histoire", c'est fini.
Symboliquement, Fukuyama et les adeptes de ses thèses
sont morts, les yeux crevés par un couteau oustachi ou
tchetnik, étranglés par les mains poilues d'un
combattant de la djihad bosniaque.
Mais trêve de lyrisme. Quelle est notre réponse au
défi balkanique? Elle est simple: il faut "chevaucher le
tigre", il faut accepter le jeu, aller jusqu'au fond de
l'abîme pour entrevoir, enfin, la perspective d'une
révolution conservatrice grande-continentale. La
provocation cynique des Américains nous offre la
possibilité de "convertir le poison en remède", de
retrouver l'"instant éternel" de notre Tradition, de nos
traditions aux modalités différentes, mais unies dans un
même refus du matérialisme américain. L'aliénation qui
nous éloigne aujourd'hui de notre propre identité est
trop grande. Si, pour redevenir nous-mêmes, nous avons
besoin de la guerre, de la mort, d'une "balkanisation",
finalement, c'est mieux que la "fin de l'histoire" que
nous suggérait Fukuyama, que la cellule dorée et
confortable qui nous attendait dans cette prison
planétaire qu'aurait été le Nouvel Ordre Mondial, la Pax
Americana.
Donc tel est notre choix: accepter la "balkanisation"
de l'Europe, de l'Eurasie, puis nous efforcer de
réorienter l'attention des révolutions conservatrices
nationales pour qu'elles se retournent, en pleine
pan-conflictualité, contre l'ennemi principal. Pour
créer la Pax Eurasiana, nous avons besoin de sujets
nationaux, libres, traditionnels et réveillés, régis par
les principes de leur propre révolution conservatrice.
L'Europe libérale-capitaliste, l'Eurasie
libérale-capitaliste, ce sera la victoire totale des
Américains, ce sera la fin de l'Europe et de l'Eurasie,
ce sera le Nouvel Ordre Mondial.
Les peuples actuels sont sourds. Pour qu'ils
ré-entendent, il faut faire tonner les canons. Parfois,
la haine guérit mieux que l'amour. Mais la future élite
eurasienne doit être au-dessus des sentiments explosifs,
passionnels, émotifs, violents et puissants de la masse.
Notre tâche, c'est de consolider lentement les assises
de la Grande Alliance Continentale, l'alliance des
élites anti-modernes qui pourra véritablement
transcender les conflits.
Selon la perspective de la Tradition (dans ses
modalités chrétienne, musulmane, hindouiste, etc.), le
Nouvel Ordre Mondial n'est pas une simple construction
abstraite et utopique, sortie des cerveaux rationalistes
modernes. C'est la réalisation d'un événement cyclique
extrêmement important. Pour certaines religions, cet
événement est même décisif (tel est le cas de l'Eglise
chrétienne). Les peuples de la Terre se définissent
aujourd'hui par l'acceptation ou par le refus du modèle
eschatologique que proposent les Américains et les
mondialistes ou plutôt qu'ils essayent de nous imposer
par la force.
Ce choix actuel est inévitable. Les peuples des
Balkans payent aujourd'hui leurs doutes, leurs
hésitations, leur refus de ce modèle. Mais pas un seul
pays, pas un seul peuple ne peut échapper à ce choix.
Tous les espoirs en une "évolution pacifique" sont
désormais dérisoires. Les canons de Vukovar ont tonné.
Ils nous ont interpellés. Avons-nous entendu leur
fracas?
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